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Entretien avec
Hugues Sanchez 

Francesca Veneziano pour Found Footage Magazine

Comment décrire Les Diaboliques Remix ? C’est une œuvre tellement dense et multiple 
que la tentative d’en faire le tour relève du défi : un défi aux allures de voyage.

Fasciné par le film Les Diaboliques d’Henri-Georges Clouzot (1955), l’artiste français Hugues Sanchez s’est attelé à cette réappropriation très personnelle du film, et ceci du remontage d’une longue sélection des scènes à la composition originale de la bande son conçue avec son acolyte Alvaro Martinez.

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L’appellatif de Remix, que Sanchez a choisi pour définir son travail, fait aussitôt songer aux altérations sonores ; elle inclut, et suggère, un travail musical sur les images, 
qui traite leur matière telle une véritable composition.

Autodidacte de formation, Hugues Sanchez est compositeur de musique de film, de théatre, danse, 
performance et d’habillage radiophonique et télévisuel depuis 25 ans.

 

Il a conçu des projets multimédia pour de nombreux lieux et événements (La Cinémathèque française, la Nuit blanche de Paris, le Festival de Cannes…). Musicien dans l’âme, Sanchez n’a jamais hésité à tisser 
des liens nouveaux entre la musique et les autres dimensions artistique.

Hugues Sanchez entretien Found FootageMagazine

Le remontage d’images est un domaine qu’il explore depuis le début des années 2000. Pour Les Diaboliques-Remix, ces liens entre le son, les images et la performance ont été multiplié

Récompensée du 1er Prix du Cannes Art Film AVIFF, la dernière œuvre de Sanchez est un réseau complexe qui peut être appréhendé comme un album, Lux, ou comme un film de remontage, dont un long extrait figure dans le bonus du DVD des Diaboliques de Clouzot, Les Diaboliques-Remix,

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on peut également le découvrir sous la forme de ciné-concert live, avec le musicien Paul Jarret à la guitare et le même Sanchez qui, sur scène, explore les effets sonores produits par… l’eau d’un aquarium !

 

Nous avons rencontré Hugues Sanchez, dans sa maison aux portes de Paris.

Il nous a dévoilé sa manière de travailler les images et le son, ainsi que son désir d’atteindre et restituer l’inconscient du film ; les difficultés rencontrées lors de ce parcours de déconstruction et reconstruction des Diaboliques.

Il nous a avoué son amour pour Clouzot, ce réalisateur maudit, expérimentateur sans répit, convaincu que le cinéma est une invention permanente : « le jour de son invention définitive, a-t-il affirmé, sera aussi le jour de sa mort ».

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Clouzot a dit que « le cinéma est une invention permanente ».
As-tu l’impression que ton remontage a contribué à cette réinvention ?


Je ne sais pas si on peut parler d’« inventions » mais l’une de mes tentatives a été de guider le spectateur à percevoir ce film d’une façon différente. 


 

Depuis mon jeune âge, je suis fasciné par la correspondance entre les arts et surtout par la synesthésie, qui est l’association spontanée ou recherchée de modalités sensorielles indépendantes.

 

J’ai beaucoup travaillé sur les relations entre le son et l’image, 
au point que… je peux te regarder et concevoir une musique à partir de ton portrait ! Les Diaboliques m’a peut-être suggéré des nouvelles manières d’écouter les images, et de les faire entendre au spectateur.

Faire « écouter les images » : comment t’y es-tu pris ?

Je voulais rendre compte de la richesse du film de Clouzot et j’ai donc conçu un travail 
à multiples entrées. Les Diaboliques-Remix, on peut le voir en ciné-concert live, 
en dvd avec la musique enregistrée, on peut aussi écouter l’album…

 

Durant les ciné-concerts, j’interagis en live avec un aquarium derrière lequel je cache un petit projecteur qui projette en boucle un plan du film sur l’aquarium.

 

Le projecteur montre un plan de geyser. Pour que celui-ci soit visible, j’ai versé dans l’eau de l’aquarium un liquide blanc qui la rend opaque, afin qu’elle fasse écran.

Par le biais de ce système, je souhaite visualiser le trouble qui se meut au-dessous de la surface lisse de l’eau. L’aquarium est une petite œuvre en soi, une sorte de mini-installation : une fois relié à l’ordinateur, l’aquarium peut être utilisé pour des expériences sonores.

 

Tu vois, je l’ai imaginé pour qu’il soit potentiellement indépendant de mon remix ou des Diaboliques. Néanmoins, il est profondément lié au film de Clouzot et à cet état suspendu transmis par ses images.

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Comment es-tu arrivé à restituer dans ton remontage cet état suspendu du film de Clouzot ?
 

En regardant Les Diaboliques, j’ai remarqué que le scénario avance par le biais de la circulation de l’eau : robinet qui fuit, cadavre noyé dans la baignoire, empoisonnement… sans oublier 
la piscine !


Le mal est un fluide qui passe en dessous de la surface plane de l’eau. Je voulais transmettre une sensation d’apnée musicale qui correspondrait à l’état du personnage de Christina 
(Véra Clouzot).

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Pendant tout le film original, Christina, prise dans l’engrenage du crime qu’elle 
a commis, est sidérée par l’effroi. 
Tout mon remontage, ainsi que le ciné-concert et l’album, est Christina. J’ai voulu raconter l’histoire de son point de vue.

 

Le moteur de mon remontage est le glissement progressif vers la folie de Christina.

Ainsi, j’ai essayé d’esquisser un portrait psychologique de l’intériorité du personnage.

 

A force de me plonger dans Les Diaboliques, je suis rentré dans le moindre de ses détails. J’ai eu la drôle de sensation d’allonger le film sur le divan et d’en faire ressortir l’inconscient : cet inconscient que l’eau, d’après moi, incarne.

Ce que tu dis au sujet de l’inconscient du film me rappelle une phrase de Fernand Léger, qui a défini le cinéma comme une « invention diabolique qui peut fouiller et éclairer tout ce que l’on cache et projeter le détail grossi cent fois ».
 

Léger avait raison ! C’est drôle, je n’ai pas une formation d’analyste, mais c’est vrai que 
je me suis surpris en train d’analyser Les Diaboliques et son réalisateur.

 

Quand j’ai découvert le film, j’étais dans un tel état de fascination que j’ai voulu chercher l’eurêka de Clouzot, 
c’est-à-dire le germe de son geste de création.

Nous avons cette volonté en commun, Clouzot et moi (rires) ! Je rigole, mais il est vrai que, tout comme lui, j’aimerais pouvoir voir en action la naissance d’une idée artistique.

 

Clouzot a réalisé un film sur Pablo Picasso et un autre sur le chef d’orchestre Herbert von Karajan, pour essayer, avec sa caméra, de capter l’émergence de leurs idées.

 

Ce processus de saisi du geste artistique est long et complexe, je pense que j’aurais eu du mal à le réduire au format du court-métrage.

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Ton remontage présente une narration singulière. Comment as-tu procédé 
pour assurer la continuité entre 
ton récit et le découpage de Clouzot ?

L’idée était de déconstruire son film 
et le reconstruire à ma façon, d’une manière, disons, plus surréaliste, mais en proposant toujours une piste narrative.

 


Il me fallait un récit qui, même s’il est « aquatique », joue avec la tension du spectateur, qui doit être dosée, 
et maintient son attention tout au long 
du film.

J’ai essayé, par exemple, de narrer l’histoire par le biais du visage de Véra.

Clouzot la filme presque toujours de face, cela me permet d’assembler toute une matière d’expressions et de nuances de la peur. 


 

Disons que la narration a été un support pour prendre davantage de libertés au niveau 
du remontage !

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Dans quelle mesure et à travers quelles stratégies t’éloignes-tu du récit de Clouzot ?
 

Je me suis éloigné à plusieurs reprises du sens donné par Clouzot à ses images, notamment par le système de la boucle.

 

J’ai souvent travaillé la boucle dans mes œuvres précédentes, 
c’est une structure que je trouve fascinante car elle permet de réinterpréter un élément 
à l’infini et, comme dans les jeux d’enfants où l’on répète inlassablement un mot, lui faire perdre son sens.

J’admire les films du cinéaste Martin Arnold, même si mon travail diffère 
du sien à plusieurs niveaux, notamment parce que la composition de la musique est un élément essentiel de mon œuvre.

Des films d’Arnold comme Pièce touchée et Passage à l’acte ont été des références dans mon travail sur les boucles car j’y ai appris à quel point on peut faire dire autre chose au matériaux filmiques de départ, ou bien, leur faire dire exactement ce qu’ils voulaient exprimer, mais 
que le récit déguise !

Dans le film de Clouzot, il y a un passage 
dans lequel Christina, accablée par son crime, 
est agenouillée pour prier ; quand Nicole (Simone Signoret) rentre dans la pièce, Christina la vire.


 

Cette scène, assez anodine, je l’ai remise 
en boucle et, par le biais de cette répétition sans fin, j’ai essayé de la transformer en moment d’incantation satanique.

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J’ai aussi voulu réinterpréter l’arythmie cardiaque de Christina comme une déclaration d’amour 
à Nicole.

Je me suis permis des effets de répétition des moments où les enfants courent, que dans mon remontage j’ai voulu multiplier à loisir. 
En mettant côte à côte toutes les séquences 
de course des élèves du film de Clouzot, en effet, je me suis rendu compte que le réalisateur fait tourner les enfants en boucle dans l’espace scénique. 


 

Je ne sais pas si c’est moi qui vois ça, mais les enfants du film m’ont tout de suite fait penser aux oiseaux des Saisons de Pelechian. Le film de Clouzot propose une forme de drame très directive, il y a des éléments très statiques autour desquels j’ai essayé de faire tourner les enfants comme des étourneaux.

Tu avais déjà travaillé le remontage dans certaines œuvres précédentes : tu as réalisé une boucle sur une séquence de La Double vie de Véronique de Kieslowski, un remix de Vertigo 
de Hitchcock ‘Polar Remix’, qui n’a pas pu sortir à cause d’une question de droits… 



Quelle a été ta manière particulière de travailler le montage pour Les Diaboliques ?
Le travail sur le film de Clouzot a été très différent des précédents, et ceci en raison de ma volonté d’en faire un format long. Le véritable défi commence quand tu veux dépasser le stade du court-métrage.

Il y a quelques scènes des Diaboliques qui m’ont fait immédiatement réagir et que j’ai tout de suite décidé d’intégrer dans mon remix. J’ai su d’emblée, par exemple, que je voulais garder la scène où le personnage de Paul oblige Christina, sa femme, à avaler son assiette de poisson.

 

Il faut dire que, si les premières idées jaillissent  tout naturellement, c’est après que le travail devient plus dur, mais aussi plus créatif.

Ma méthode a été assez rudimentaire : d’abord, j’ai dérushé et j’ai refait le découpage du film. Puis j’ai séparé les scènes et je les ai faites tourner en boucle sur un lecteur QuickTime.

 

Je les ouvrais et les regardais toutes en même temps sur l’écran de mon ordinateur, parfois j’en faisais tourner vingt à la fois !

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J’accompagnais ces petites boucles de musique que j’ai composés ou pas. Ce premier moment de travail est hyper jouissif. Je disais que la musique guide le regard ; elle guide le mien aussi évidemment : j’ai écouté 
les différentes musiques, regardé les boucles, vu ce qu’il se passait.


J’ai essayé de comprendre si dans cette rencontre aléatoire image-son apparaissait du sens, si mon attention était attirée par une ou deux boucles… et j’ai noté toute nouvelle impression ou idée. 
A partir de ce premier travail, j’avais sous la main plusieurs petits scénarios qu’il fallait donc remonter pour arriver à un seul récit cohérent.

 

Je pense que l’image n’est pas simplement musicale, elle est multi-musicale, elle peut suggérer plusieurs musiques qui toutes sont valables. Il fallait choisir celles qui étaient les bonnes pour moi…

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J’imagine que, avant de commencer le travail de déconstruction du film de Clouzot, tu avais déjà des idées de la forme qu’allait prendre le remontage. Est-ce que ces pistes initiales ont été finalement retenues quand tu as entamé le travail de montage ?

Quand je regardais Les Diaboliques de Clouzot les premières fois, j’avais plusieurs pistes de travail quant aux liens à créer entre le son et les images… mais elles ont été vite mises de côté !

Au début, par exemple, mon idée était de refaire le bruitage du film en direct.

 

Mais le penchant surréaliste dont je parlais tout à l’heure a rapidement pris le pas. Et puis, ce qui m’intéressait davantage était de composer une musique totalement nouvelle.

Comment travailles-tu la musique ? Le moment de la composition musicale se fait avant, après ou pendant le travail sur les images ?


Tu sais, j’ai fait de la musique pour les films et de l’habillage sonore pendant 25 ans : 
je regardais les images et composais la musique en même temps.

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C’était très stimulant. 
J’ai besoin de me surprendre constamment, sinon je tourne en rond ! Ce que j’aime quand je travaille à partir des images, c’est qu’elles me permettent de bousculer mes réflexes 
de compositeur. 


 

La musique que je compose spontanément est un peu extatique et mentale ; le fait de me laisser guider par les images me pousse à me réinventer. Ainsi, petit à petit, ma musique est devenue indissociable de l’image.

 

Je t’avoue qu’à force de travailler en regardant les films, j’ai souhaité devenir chef d’orchestre du son et de l’image ! Ce qui signifie, en gros, que pour Les Diaboliques j’ai voulu tout concevoir en même temps.

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 C’est-à dire que tu composes la musique et que, en même temps, tu travailles au remontage ?


Exactement ! Mon travail a constitué à faire des allers-retours constants entre les images 
et les sons.

 

J’ai parfois composé 
la musique à partir d’un assemblage de deux ou plusieurs plans dont j’étais satisfait, d’autres fois j’ai ajusté le montage en fonction du morceau que je venais de composer.

C’est un travail de haute précision !
Je pense que cette volonté de m’occuper du montage du son, de l’image, ainsi que de la musique, est née de la frustration d’avoir beaucoup travaillé au service des films et de la radio…

 


Quand tu travailles pour un réalisateur, par exemple, il arrive souvent que celui-ci reprenne et remonte ta musique, et à la fin 
toi, le compositeur, tu ne t’y retrouves plus.


Disons qu’avec Les Diaboliques-Remix j’ai voulu… me venger un peu (rires) ! C’était moi qui avais les ciseaux. C’était moi qui choisissais dans quelle direction avancer, quand couper, comment atteindre les effets d’intensité recherchés. 

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A quel niveau de la création se joue cette recherche d’intensité : plutôt au niveau musical ou des images ?


Les deux. Je suis en perpétuelle recherche d’intensité, j’aime titiller l’intensité, dans mon travail j’ai systématiquement évacué les moments où il n’y en avait pas. Cela se joue souvent grâce à des effets de rupture, que ce soit au niveau de la musique ou de l’image.

 


Je cherche la beauté fébrile des images et du son ; j’aime quand leur relation matérialise la sensation très particulière de la suspension qui précède le moment où tout s’effondre. Si, en composant ou en remontant, je sens que je vais vers une émotion trop romantique, alors je la casse, par exemple avec quelque chose de percussif ou en tout cas de très éloigné de la musique 
de départ. 


Les bruitages et les effets de Shepard constituent d’autres contrepoints à mon romantisme, aussi bien que les coupures qui s’arrêtent en plein milieu, clac, comme ça, sans même attendre la fin de la mesure. 


En ce qui concerne les plans de Clouzot, j’ai travaillé non seulement sur les effets de rupture, mais aussi sur ceux de manipulation de l’image, notamment avec des effets de solarisation.

Par ailleurs, pour une courte vidéo expérimentale conçue dans le cadre d’une exposition, j’ai eu recours au datamoshing, un procédé qui m’intéresse d’explorer davantage.

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L’artiste français Jacques Perconte est l’un des maîtres du datamoshing. Est-ce que c’est dans un sens similaire que tu voudrais explorer cet effet de déstructuration de l’image vidéo ?

J’adore les manipulations de l’image des films de Perconte, elles ont quelque chose de l’ordre de la métamorphose magique du réel.

 

Pour ma vidéo, j’ai voulu que, en jaillissant, cet effet d’effondrement des images fasse émerger celui du personnage de Christina.

Je me demande comment avoir recours à ce procédé, qui a un impact fort sur la reconnaissance des images, 
tout en gardant la continuité du récit : c’est l’un de mes questionnements actuels.

 

Je me pose aussi la question du respect des images de départ, que je veux réinterpréter, certes, 
mais pas trahir pour autant.

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Cette question du « respect » des images est intéressante, notamment si l’on interroge 
la place accordée à la musique originale dans les ciné-concerts.

Il y a une véritable querelle autour du rôle que la musique doit assumer quand elle accompagne un film : doit-elle s’effacer pour valoriser les images ou, au contraire, s’en éloigner ostensiblement et s’imposer, parfois 
en dépit des images mêmes ?


Tout au long du travail de remontage, il n’y a pas eu un seul moment dans lequel je n’ai pas pensé le rapport du son aux images.

 

J’ai assisté à plusieurs ciné-concerts où la musique prenait une telle place que l’on ne regardait plus les images. De mon côté, j’ai essayé de toujours porter la vision du film.

 

Afin d’assurer la continuité du récit de mon remontage, 
j’ai demandé à une amie comédienne, Charlotte Filou, de lire des répliques du film.

 

Ce choix de voix-off avait une autre fonction, peut-être aussi importante que celle de servir la narration : il s’agissait pour moi de contrebalancer le risque d’un effet-vidéoclip et de coller le plus possible à l’image.

 

Je voulais que la voix, tout comme la musique, ramène à l’image brute.

Une voix-off au service de la narration, une composition musicale qui ramène à l’image brute…

Je ne t’apprends rien en te disant que dans Les Diaboliques de Clouzot il n’y a pratiquement pas de musique. Qu’est-ce qui t’a donné envie d’imaginer une musique pour 
ce film ?

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Justement, le fait qu’il n’y en ait pas ! Tu sais, avant de me lancer dans Les Diaboliques de Clouzot, j’avais pensé remonter son film Les Espions, qui est une œuvre très kafkaïenne reposant sur un système de boucles qui ne mènent à rien.

 


J’ai toujours beaucoup aimé Les Espions, mais j’ai dû mettre ce projet de côté 
parce que le travail de déconstruction était déjà dans la structure du film et… on ne peut pas déconstruire ce qui est déjà déconstruit. 
Les Diaboliques, déjà c’est un film génial, mais en plus il est d’une musicalité phénoménale. 


 

Le montage du film est musical ; je comprends tout à fait que Clouzot n’ait pas voulu ajouter 
de la musique, car… elle était déjà là ! 
Quand j’ai vu Les Diaboliques pour la première fois, j’ai tout de suite entendu la musique. J’avais l’impression que Clouzot l’avait composée et retirée du film après.

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Tu sais que Clouzot a fait un lien entre le découpage des Diaboliques et la structure 
de l’œuvre musicale classique ? Il a dit qu’il voulait « un grand allegro, suivi d’un thème 
avec variations sur la résurrection du mort » ; que son film aurait dû être comme « une sorte 
de cantate de Bach où le thème exposé d’abord est repris, enrichi et diversifié ».

Oui, je connais cette phrase, je peux même te dire que j’aurais préféré ne pas la connaître ! 
Je connaissais bien le lien entre Clouzot et la musique, le fait qu’il a travaillé avec des chef d’orchestres, le rôle endossé par la musique initiale à partir du film L’Enfer.

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Mon travail de remontage était presque fini quand j’ai découvert cette déclaration. C’est à ce moment-là que j’ai pensé : « Mais bien sûr ! Tu ne peux pas avoir un mec ferru de musique qui laisse un film aussi vide! »
 J’ai eu l’impression de profaner l’art de Clouzot.

 

Je t’avoue que cette phrase, qui au début 
a carrément failli m’éjecter du projet, a été par la suite la source de véritables questionnements. 
Elle m’a obligé à me positionner par rapport au film, à retrouver ma place, à m’assumer.

 


C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que la musique de Clouzot était silencieuse, comme une composition muette et entêtante. Alors, j’ai voulu faire émerger la musique qui affleurait.

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